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    "Tonnerre de Brest !"

     La célèbre expression du capitaine Haddock a fait le tour du monde, comme l'irascible compagnon d'aventure de Tintin, le petit journaliste à la houppette créé par Hergé. A son origine, deux explications.

    D'aucuns parlent du coup de canon, chargé à blanc, qui résonnait chaque jour à 7 heures et à 19 heures, réglant, pendant trois siècles, la vie des Brestois. La cité vivait au rythme de l'arsenal et du port militaire qui abrita les escadres de vaisseaux partant pour la guerre de l'Indépendance américaine. Les quais de la Penfeld et " le Château " (forteresse gallo-romaine transformée par Vauban pour recevoir de l'artillerie) témoignent de la grandeur passée et évoquent encore l'activité dont Chateaubriand fut le témoin romantique, par un beau jour d'été de 1793.

    " Cette mer que je devais rencontrer sur tant de rivages baignait à Brest l'extrémité de la péninsule armoricaine : après ce cap avancé, il n'y avait plus rien qu'un océan sans bornes et des mondes inconnus ; mon imagination se jouait dans ces espaces. Souvent, assis sur quelque mât qui gisait le long du quai de Recouvrance, je regardais les mouvements de la foule : constructeurs, matelots, militaires, douaniers, forçats, passaient et repassaient devant moi. Des voyageurs débarquaient et s'embarquaient, des pilotes commandaient la manœuvre, des charpentiers équarrissaient des pièces de bois, des cordiers filaient des câbles, des mousses allumaient des feux dans des chaudières d'où sortaient une épaisse fumée et la saine odeur du goudron. On portait, on reportait, on roulait de la marine aux magasins, et des magasins à la marine, des sacs de vivres, des trains d'artillerie (…). Des forts répétaient des signaux, des chaloupes allaient et venaient, des vaisseaux appareillaient ou rentraient des bassins.  Mon esprit se remplissait d'idées vagues sur la société, sur ses biens et ses maux. Je ne sais quelle tristesse me gagnait ; je quittais le mât sur lequel j'étais assis ; je remontais la Penfeld, qui se jette dans le port ; j'arrivais à un coude où ce port disparaissait. (…) Je me couchais au bord de la petite rivière (…). Je tombais dans la plus profonde rêverie. Au milieu de cette rêverie, si le vent m'apportait le son du canon d'un vaisseau qui mettait à la voile, je tressaillais et des larmes mouillaient mes yeux. "
    Mémoires d'Outre-tombe.
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    Mais le " tonnerre de Brest ", c'est aussi, pour beaucoup, le coup de canon qui annonçait l'évasion d'un bagnard et donnait le signal d'une chasse à l'homme. Sombre bâtisse édifiée au milieu du XVIIIème siècle, sur la rive gauche de la Penfeld, dans l'enceinte du port, le bagne abrita quelque 70 000 condamnés aux travaux forcés. Le plus célèbre d'entre eux fut un certain François-Eugène Vidocq qui devint plus tard … chef de la police.

    Les couples enchaînés hantaient l'arsenal et ses abords, et menaient leurs travaux jusqu'au cœur de la ville. A la couleur de leur bonnet, on pouvait repérer la durée de leur peine. En 1785, on était condamné au bagne à vie " pour s'être endormi étant en sentinelle, pour vol d'une vache en pâture pendant la nuit, pour vol de tronc dans une église, pour vie errante, vagabonde et scandaleuse " ; à 9 ans, " pour vol d'herbage dans les champs " ; à 6 ans, " pour séduction de jeunes filles. "

    Les derniers forçats quittèrent Brest en 1858 pour Cayenne, en Guyane, et le bagne fut détruit en 1947.

     



     

     

    uin forçat vu par Ciceri

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

    Habits

    Le bagnard est vêtu d'une chemise en toile écrue, d'un pantalon écru, d'une casaque rouge, d'une paire de souliers ferrés et d'un bonnet rouge pour les condamnés à un certain temps et vert pour les condamnés à perpétuité. Celui-ci porte une petite plaque en fer-blanc sur lequel apparaît le numéro d'inscription au registre matricule

    (3786 pour Sébastien).voir ce lien

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    1858. La fermeture du bagne de Brest

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    Au cours de son siècle d'existence, le bagne de Brest a abrité plus de 70.000 forçats. Son ouverture a marqué l'émergence d'une nouvelle structure répressive après celle des galères. Sa fermeture le 1er septembre 1858 marquera une nouvelle étape, celle des colonies pénitentiaires d'outre-mer.

    En 1748, Louis XV rattache les corps des galères à la Marine Royale, afin de permettre à celle-ci de disposer ainsi d'une main-d'oeuvre peu onéreuse. Désormais, les forçats des galères seront hébergés à terre dans des bagnes portuaires. Le bagne de Brest est le deuxième créé en France après celui de Toulon. La première chaîne de forçats arrive à Brest le 25 mai 1749, soit un mois après leur départ de Marseille. Par la suite, c'est principalement de Paris que les chaînes partiront vers le bagne. Une chaîne regroupe 300 à 400 hommes. Pendant le voyage, chaque forçat est enchaîné par une « cravate » qui, comme son nom l'indique, est passée au cou de chaque condamné, également entravé par les pieds. Le transport se fait en charrette, et c'est seulement à partir de 1836 que l'on utilise des voitures cellulaires.

    La fermeture du bagne

    En 1830, les bagnes font l'objet d'un vaste débat sur leur utilité sociale. L'idée de leur fermeture au profit des colonies pénales d'outre-mer fait alors son chemin. Cette évolution a été alimentée par plusieurs considérations : morales, avec le spectacle détestable que donnait à voir le bagne dans l'enceinte même d'une ville ; sanitaires, avec des risques d'épidémie accrus et économiques, avec l'abolition définitive de l'esclavage dans les colonies en 1848 qui entraîna un besoin en main-d'oeuvre. Dès 1852, les condamnés sont transportés vers la Guyane. Le bagne de Brest ferme le 1er septembre 1858. Le vaste édifice est converti en dépôt de matériel. Pendant la Première Guerre mondiale, il sera successivement un hôpital complémentaire, un centre de réforme et un magasin. Après la Seconde Guerre mondiale, le bâtiment sera entièrement détruit.

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    *Statue de Bertrand Piéchaud -la peine du bagnard.
    Statue de Bertrand Piéchaud -la peine du bagnard.

     


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    CHANT TRADITIONNEL DU BAGNE.

    On découvre ici, le texte d’un chant traditionnel du bagne qui est l’œuvre d'un bagnard « libéré ». Ce document a été enregistré en 1951 par Henri Charrière dit PAPILLON, à Saint Laurent du Maroni à l’occasion de son premier retour dans cette ville après sa libération, dans le cadre de la promotion de son livre. Il s'agit d'un poème de Fitoussi qui se chantait sur l'air "les batelier de la Volga".

    Titre de la chanson : Je suis un forçat.
    A écouter en cliquant sur la pièce jointe en bas de la page.

    Le cri d‚une sirène
    Un bruit de chaînes
    Le convoi part
    Ils sont hâves et blêmes
    Tout un poème
    En leur regard

    Cohorte douloureuse
    C‚est l‚armée malheureuse
    De ceux que Thémis appelle Aujourd‚hui
    Qui vont quitter à jamais leur pays

    (complété sur les aimables informations d'un lecteur, commentaire n°26)

    Soudain l’un d’eux s’arrête,
    en inclinant la tête,
    c’est qu’on vient de lui dire tout bas
    ces simples mots tu n’es qu’un forçat.

    La bas à la Guyane,
    dans la savane et les chantiers,
    combien de pauvres ères
    dans la misère semblent expier.

    Des rires de folies,
    des râles d’agonies,
    semblent monter au-dessus des cachots
    dont parfois monte un lugubre sanglot.

    La fièvre qui les terrasse,
    la mort qui les menace,
    toute la gamme des maux d’ici-bas
    semblent planer sur le corps du forçat.

    L’évasion est un crime
    que l’on réprime sévèrement,
    la réclusion horrible
    et ses terribles isolements.

    Misère physiologique,
    celle, vengeur tragique,
    d’une société cruelle ou vaincu,
    un cri, un râle, un forçat à vécu.

    Le requin, bête immonde,
    semble guetter dans l’ombre,
    le corps qu’on jette entouré d’un vieux drap,
    et c’est ainsi que finit le forçat.

    Commentaires exclusif de PAPILLON enregistrés en 1951 (à écouter en cliquant sur la pièce jointe en bas de la page) « Combien est émouvante cette chanson de ce malheureux, et combien aussi, malheureusement, il confirme tout ce que je dis dans mon livre. D’abord la fièvre, les cachots, la mort. Dans des endroits où, un sur dix, un sur vingt, peut se sauver dans ces travaux formidables, comme couper le bois dans les camps de Charvein ou d’ailleurs. Et puis, cette ignominie quand il se sent le forçat. Il vient de comprendre ce qu’est un forçat, c’est-à-dire une immondice de la société au moment de partir.
    L’évasion ! L’évasion, que non seulement on cherche à étouffer dans son être, mais encore que l’on poursuit comme l’on poursuit un animal avec les chasseurs d’hommes afin de l’éliminer plutôt que de lui donner une chance de revivre, et s’il est repris ? La réclusion ! Cette fameuse réclusion que quelques journaux ont prétendu, que des témoignages de surveillants, des gens, bien entendu, intéressés à dire, que ce n’était pas du tout comme je le racontais.
    Mais lui le malheureux dans sa chanson, il le dit, cette réclusion horrible, terrible isolement. Atteint tous en commun de misère physiologique, il l’accuse lui-même, dans sa chanson, des bas-fonds de Saint Laurent du Maroni, cette société cruelle,inutilement cruelle. Cette société, qui au lieu de se défendre contre les gens qui commettent un délit, se venge, ce qui ne peut être accepté.
    Et puis la fin ! La fin du forçat. Ces enterrements que je décris dans mon livre, où l’on jette ces corps, entourés de sacs de farine, en pâtures aux requins des Iles Royales, qui étaient ni plus ni moins, que le dernier moment où le forçat arrivait à sa limite de mépris de la société. On lui refusait même de l’enterrer comme un homme, on le donnait en pâtures aux requins…La cloche qui appelait ces requins au moment de l’enterrement était une espèce de … C’était la fin… La société était vengée, ou, la société croyait ainsi pouvoir faire disparaître par les requins tout vestige d’un homme qui avait commis quelques petits délits et qui lui avait apporté quelques douleurs à la tête.
    Toute cette chanson, c’est la conclusion indiscutable de ces chemins de la pourriture, comme je le décrits, je crois même qu’ils sont en dessous de la vérité. »

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    Commentaires_de_PAPILLON(2) Commentaires_de_PAPILLON Chant_du_forcat

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